« Une pensée politique je pense que tu sais que tu es en train d’en construire une à partir du moment où le monde ne t’indiffère pas »

Arrivant au terme de mon service civique à la Pépinière de la solidarité internationale, je décide de questionner ses acteurs sur leur construction d’une pensée politique à travers la Pépinière et en dehors. Face caméra ils m’en parlent, afin d’en produire une petite vidéo documentaire. Malheureusement, la vidéo ne pourra contenir l’intégralité des interviews, je vous propose donc d’en apprendre un peu plus sur la vision d’Eléonore Brenot, la coordinatrice et tutrice de l’équipe de Paris, sous la forme écrite.

"Une pensée politique, je pense que tu sais que tu es en train d’en construire une à partir du moment où le monde ne t’indiffère pas. C’est ressentir et te positionner par rapport à des évènements qui peuvent se passer et qui ne te laissent pas indifférent. A partir de là, il y a engagement politique même inconscient je pense. Elle peut se construire vraiment de manière inconsciente, on n’est pas forcément dans une démarche. À côté de ça, je pense qu’il y a des vrais militants qui vont être dans des démarches politiques et c’est là que je ferais la différence. Par exemple je n’ai pas forcément eu l’impression de m’engager dans l’association par démarche politique. Mais c’est un engagement, c’est sûr. Et il est politique aussi d’une certaine manière.

« Essayer de comprendre la relation avec l’autre »

Ce qui m’a touché dans la Pépinière - c’est très personnel - c’est vraiment la façon dont on m’a expliqué le tutorat et l’accent qui était mis sur le fait de travailler la posture du pépin. Il est avant tout motivé par l’idée d’agir que par un projet précis. J’ai vraiment la sensation que ce départ, ce projet, qui est par ailleurs hyper enrichissant, utile et intéressant, devient presque un prétexte à la réflexion. Tout le monde a envie d’aider, c’est hyper humain, par contre la manière dont on va exprimer cette envie peut être maladroite. Elle a amené dans l’histoire à des choses très compliquées.

Beaucoup de très bonnes intentions ont tourné au fiasco total vraiment au détriment des gens que l’on voulait aider. Cette démarche m’a parlé dans le sens où ça rejoint des notions d’anthropologie qui me touchent, éviter l’ethnocentrisme, essayer de comprendre la relation avec l’autre, comprendre aussi dans quoi on se situe et pourquoi on est là à vouloir aider. En arrivant à mettre ça en perspective on arrive à un peu plus de justesse, même pour soi finalement, dans la manière dont on va accompagner l’autre ou partir et aider sur le terrain. À mes yeux c’est vraiment ce point-là qui est important.

Par exemple avec le colonialisme à une certaine époque, la France s’est donnée bonne conscience sous-prétexte d’aider en envoyant des missionnaires en Afrique. Cela a créé un certain nombre de problème dans l’histoire. Frères des Hommes nous sensibilise justement à l’évolution de l’aide internationale. Elle est partie de quelque chose de très « on va donner, on va aider l’autre » à de la co-construction, et ça c’est une énorme évolution.

« Il y a forcément des moments où t’as envie de prendre position »

Quand on est jeune, il y a plusieurs manières d’exprimer ses révoltes ou ses prises de position. En 2001, j’avais 21 ans et je suis sortie dans la rue quand Le Pen est passé au deuxième tour, ce sont des choses qui marquent ! Il y a forcément des moments où t’as envie de prendre position. Ça peut se faire ponctuellement sous la forme de pétition que tu signes, la participation à une manifestation, ou un engagement plus collectif, une association, un mouvement…
Le fait de prendre des positions, d’engager des mouvements et des collectifs, même s’ils ne perdurent pas forcément dans le temps c’est toujours une avancée ; à partir du moment où on reste dans la limite de la légalité et sans causer de tort à personne. Même si l’on n’aboutit pas forcément à des choses très visibles en termes de résultats. Tu as l’impression, à un moment, d’avoir pu t’exprimer.

S’il y a bien un truc qui donne envie dans la Pépinière c’est d’alterner d’un rôle à un autre ! Dans l’idée j’aimerais bien à un moment me réserver la possibilité de devenir pépin ! Tu n’es pas cantonné dans un rôle, tu peux aussi porter des projets. En plus je découvre des nouvelles thématiques. Les aborder avec les partenaires locaux de Frères des Hommes, c’est vrai que ça donne envie, ce sont de belles rencontres.

La construction d’un engagement politique à défaut d’une pensée politique se dessine avec des dispositifs comme la Pépinière, beaucoup de gens ont envie de monter des projets de solidarité internationale, et quand tu n’as jamais fait ça, et que t’es pas un spécialiste de l’ESS ou que tu ne travailles pas dans ce domaine-là, c’est quasi fermé, tu ne peux pas y accéder. Ce dispositif permet vraiment de rêver à ça même pour ceux n’ayant pas d’expertise. Autour de ça, la Pépinière a un combat, celui de trouver les moyens pour bien former les gens qui accompagnent et ceux qui portent un projet. Que chacun puisse construire son propre engagement citoyen, personnel et politique ; et se rendre compte que l’on peut aider c’est vrai, mais que l’on reçoit aussi.

« Donner des outils pour que ce cheminement se fasse dans les meilleures conditions »

Il faut continuer à permettre à plein de gens d’accéder à ces choses-là, de réaliser ce rêve de rencontre ailleurs que chez soi. La Pépinière et sa formation sont des outils pour que ce cheminement se fasse dans les meilleures conditions.
Effectivement ça a un impact ensuite collectivement sur la manière dont on est en société.

Je viens d’une famille dans laquelle on a des engagements, mais pas forcément d’engagement associatif de ce type-là. Ça m’a certainement donné la possibilité d’avoir des envies de solidarité, en tout cas de ne pas être indifférente. J’ai aussi des amies très militantes, ce sont des choses qui nourrissent aussi, qui créent de l’émulation. On en discute lorsqu’il y a des votes au parlement qui ne nous conviennent pas. J’évolue vraiment avec des femmes qui ont beaucoup de prise de position et qui sont dans des engagements très forts. Par rapport aux migrants on a monté un collectif pendant 2 ans qui était assez actif par exemple.

L’intérêt des micro-projets de la Pépinière, le fait qu’il y ait cette co-construction, réside dans le fait que l’on est dans les mêmes processus que sur les projets de plus grande envergure. C’est juste une pierre un peu plus petite, mais elle a autant de valeur que les plus grands projets. Le porteur de projet dans le cadre de la Pépinière doit vraiment avoir la certitude et la conviction que ce qu’il va donner, même si c’est un micro projet en termes de temps, c’est très utile parce cela répond à des besoins qu’auront définis les partenaires. Ça n’est pas quelque chose qui est réfléchi hors sol. En tout cas ça va dans le bon sens."

Interview par Hugo Corbé, service civique chargé de communication à la Pépinière.

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